L’Histoire de Souleymane : quand le cinéma rattrape la réalité des sans‑papiers

« L’Histoire de Souleymane » s’impose comme l’un des films français les plus puissants de ces dernières années, en transformant le parcours d’un jeune Guinéen sans papiers en véritable course contre la montre au cœur de Paris. Porté par la mise en scène tendue de Boris Lojkine et par l’interprétation magnétique d’Abou Sangaré, le film colle à la roue de son héros, livreur ubérisé qui, entre deux commandes, répète inlassablement le récit qu’il devra présenter lors de son entretien à l’OFPRA pour espérer obtenir l’asile.  

Ce dispositif narratif, qui alterne séquences de livraison filmées comme un thriller urbain et moments d’angoisse bureaucratique, donne au film une énergie nerveuse qui ne retombe jamais, jusqu’à l’affrontement final dans le bureau de l’agente chargée d’évaluer la « crédibilité » de Souleymane. Face à lui, Nina Meurisse compose une fonctionnaire d’apparence glaciale mais traversée de micro‑fissures, performance justement consacrée par les récompenses de second rôle, tandis que Sangaré s’impose comme une révélation bouleversante.  

Au‑delà de son impressionnant palmarès en festivals et cérémonies, le film frappe par sa capacité à rendre visibles les corps et les visages que l’on ne voit d’ordinaire qu’au coin d’une application de livraison. Sans surligner le discours politique, Lojkine montre la violence structurelle qui écrase les sans‑papiers : exploitation par les plateformes, dépendance à des intermédiaires peu scrupuleux, errance de foyer d’hébergement en bus de nuit, et surtout ce verdict administratif qui, en quelques minutes, décide d’une vie entière.  

Avec son réalisme documenté et son refus du misérabilisme, « L’Histoire de Souleymane » redonne un visage et une voix à ceux que la société réduit souvent à des statistiques migratoires, faisant de ce film de 2024 un geste de cinéma à la fois brûlant d’actualité et d’une grande tenue artistique.